Soufflent les vents...

La place du sacrilège était exposée au plein soleil, mais il y avait une fontaine, quelque peu imposante, représentant une Cendrillon des plus gothiques. La noire statue d'une beauté remarquable mais cruelle par l'amour vain qu'elle pouvait inspirer mettait en évidence l'un de ses pieds qu'elle tenait tendu tandis que l'autre restait caché sous sa robe, dans une pose grâcieuse et nonchalante....

Sur son épaule, elle tenait une jarre d'où coulait de l'eau en abondance. C'était là que s'était posée Lewellyn pour s'abreuver et hydrater sa peau malade...


"Soufflent les vents, tonne l'orage,
Pleurent les enfants
Dans leur lit sans bouger.
Nul ne sait jamais les consoler
Sans raconter l'histoire de Lady Fae..."

chantait l'enfant en s'éclaboussant.

"Soufflent les vents, tonne l'orage,
Jusqu'à l'horizon les badauds envoutés,
Nul ne sait les ignorer chanter
Les vertus magiques des souliers de Lady Fae..."

Lewellyn continua à chantonner, levant son visage en lui portant l'eau revigorante...

"Soufflent les vents, tonne l'orage
Lorsqu'on l'apperçoit on ne peut l'oublier
Mais nul ne sait jamais la rattraper
En suivant les traces des souliers de Lady Fae..."

"Soufflent les vents, tonne l'orage
En haut de la colline elle a sa maisonnée
Nul ne sait espérer l'approcher
Sans porter les souliers de Lady Fae..."

Elle se mit à balancer ses petits pieds.

"Soufflent les vents, tonne l'orage
Elle prend de sa main la vie des étrangers
Nul ne sait fouler la route aux souliers
Sans trouver la mort aux portes de Lady Fae..."

fredonna-t-elle d'un ton plus enjoué. Ses cheveux blonds dansaient autour d'elle.

"Soufflent les vents, tonne l'orage,
Celle qui tient le fort reste une fille à marier :
Elle attend le jour où l'un d'eux va passer
La porte de la demeure de Lady Fae..."

Poursuivit Lewellyn en dandinant sa blonde chevelure... Mais elle sentit un regard, et baissa ses yeux vers Gwendolyn, marquant un arrêt.

Lewellyn détourna alors lentement son visage, et sa voix retentit à nouveau :

"Soufflent les vents, tonne l'orage :
L'un d'eux s'est épris de la belle aux souliers,
Il traverse les champs de fêlons statufiés
Sans quitter des yeux le chateau de Lady Fae... "

"Soufflent les vents, tonne l'orage,
Il n'a que faire des légendes oubliées.
En poussant la porte il espère trouver
Ces yeux qui le hantent, ce sont ceux de Lady Fae... "

"Soufflent les vents, tonne l'orage,
En voyant sa promise il s'est agenouillé,
Puis demandant sa main déposa un baiser
Sur les souliers enchantés de Lady Fae..."

Elle se leva lentement pour se mettre debout sur la statue, sa robe décriva une légère courbe autour d'elle.

"Depuis ce temps tous les enfants sages
Ont écoutés mille fois cette chanson du passé,
Par delà le fort ils se sont épousés
Laissant derrière eux les souliers de Lady Fae..."

finit-elle en se berçant toute seule au rythme de la chanson.

Gwen resta quelques secondes sans rien dire, les notes et les paroles de la chanson dansait encore dans sa tête.

Elle fixa le reflet de Lewellyn :

" D'où vient cette chanson ? " demanda t elle doucement.

"Elle est chantée de contrée en contrée chez moi... Mais elle ne vient pas du coeur des terres de glace, elle est venue des régions celtiques, et a voyagé dans mon pays plus lugubre... Mais je l'aime beaucoup. C'est un peu la promesse d'une nouvelle vie."

dit Lewellyn en se réasseyant sur le bras de la statue avant de se laisser tomber en arrière pour se tenir par ses jambes.

" Je ne la connaissais pas... Elle est très jolie... "

Elle observa un instant son reflet dans l'eau.

" C'est une légende ? "

Les cheveux de Lewellyn pendait dans le vide...

"Je crois... Mais on dit que les souliers existent... Seulement on a jamais retrouvé le fort... D'ailleurs dans la chanson il est nommé de différente façon : c'est d'abord une maisonnée, puis un château..."

"Du coup, les gens ne savaient pas où chercher..."

Après quelques instants à rêvasser, Gwen sembla alors se resaisir. Ce n'était qu'une légende, rien de plus ! Pas de quoi se torturer les méninges...

" C'est une bien belle histoire... pour endormir les enfants... " dit elle en se levant.

"Les enfants ne sont pas stupides..."

dit Lewellyn en se redressant pour se remettre à l'endroit :

"Jamais une simple histoire ne les consolerait..."

" Les enfants aiment à croire aux contes de fées... L'illusion qu'elles créent les conforte dans une monde où tout est bien qui finit bien... "

Elle eut un léger sourire en coin, un peu nostalgique.

"C'est mesquin..."

"Parce que quand ils reviennent à la réalité..."

Elle frissona.

Gwen hocha la tête :

" Les légendes sont faites pour rêver... Seulement parfois, les gens se prennent trop au jeu du rêve et commencent à croire à ces légendes merveilleuses... "

" Tu crois à cette histoire toi ? "

Lewellyn fit oui de la tête.

"Il y a un reste de cette histoire... Un vieux cimetière dans la vallée d'Oblivion, aux limites des terres arctiques.... Là-bas on trouve une dizaine de tombes où il était écris que là gît l'un des fêlons qui a foulé la route aux souliers..."

Gwen faillit rire, mais elle se retint. Elle fronça les sourcils en observant la petite.

Elle se prit à imaginer descendre de cette jeune fée aux souliers, figurant cette jeune beauté cruelle comme étant son ancêtre...

Il lui fallut quelques longues minutes avant de réaliser la sottise de ses pensées : quand bien même cette histoire serait vrai, qui lui disait qu'elle avait un rapport avec son nom ?

Elle sourit doucement à Lewellyn :

" Sans doute quelqu'un qui aura aimé cette légende et aura voulu faire un clin d'oeil... "

"Peut-être..."

dit Lewellyn en détournant la tête, voyant qu'elle n'était pas crue.

"Mais tu sais que ça s'écrit comme ton nom ?"

Gwen marqua un temps, montrant ainsi clairement que malgré son aplomb, elle doutait :

" Simple coincidence... " répondit elle.

"Il y a beaucoup de coïncidences dans ce monde..."

dit Lewellyn en remontant sur le bord de la fontaine pour marcher près de l'eau.

"Ta cousine est la soeur de l'homme qui m'a détruite. Dimitry de Forbin est une source de nuisance à la fois pour toi, et pour ma soeur, et toutes deux vous connaissez Linéar Normon. Le scientifique qui m'a gardée en vie est aussi celui qui a ressuscité ta cousine..."

dit-elle avant de se retourner vers Gwendolyn :

"Alors pourquoi pas, Lady Fae et ses souliers ?"

Gwen la fixa, mais elle ne semblait pas la voir :

" Je n'ai jamais entendu parler de cette légende avant... Si elle avait un rapport avec ma famille, je serai peut-être au courant, non ? "

"Alors tant pis... C'est dommage, ils t'auraient bien allé, ces souliers..."

dit Lewellyn en se baissant pour prendre de l'eau dans le creux de sa main.