Course nocturne. [Libre]

Un visage apparut soudain sur le fond de velours sombre du ciel. Le visage d'une jeune fille aux yeux brillants et vifs mais l'air scrutateur. Son regard était d'une couleur ambre étincellant. Ses cheveux bruns, où courrait gracilement un rayon de lune opalin, lui tombaient de part et d'autre de son visage de porcelaine. Ses lèvres étaient fixées dans une expression perplexe tandis qu'elle observait ce nouveau venu.

Gwen fronça les sourcils. Elle revenait du Dragon Flamboyant après son service quotidien. En réalité, elle avait fait un petit détour pour ne pas avoir à rentrer immédiatement à l'internat. Sa cousine l'attendait peut-être mais elle avait l'habitude qu'elle doive fermer le pub et rentre tard. Elle était toujours vêtue de sa tenue de travail ; sa chemise blanche était ouverte au niveau des premiers boutons. Elle portait sa veste à la main, voulant profiter un peu de la fraîcheur de la nuit. On voyait d'ailleurs à ses bras nus qu'elle avait un peu froid... mais elle n'y faisait pas attention. A son parfum sucré se mêlait des relents d'alcool et de bière. D'ailleurs, sa jupe était tachée au niveau d'une cuisse et on devinait la trace d'un gros pouce qui n'appartenait sûrement pas à la jeune fille.

Après quelques secondes à l'observer de haut, Gwen demanda :

" Est-ce que tout va bien ? Vous faîtes pas une crise d'apoplexie ou quelque chose dans le genre ? "

* J'espère que non, j'ai pas mon brevet de secourisme... *

Il ne l'avait ni entendue approcher, ni sentie. Sa nature rêveuse ne lui offrait pas toujours des réflexes hors du commun, tourné vers lui-même, en lui-même, il avait éprouvé les premiers bercements du sommeil, quand une voix le tira de cet état de nonchalance. Il rouvrit ses yeux verts d'eau, à la luminosité faiblissante, comme lorsqu'il sortait d'un rêve éveillé.

Qui était-ce ? Ses yeux rencontrèrent le regard mordoré de Gwendolyn, et ils retrouvèrent une nouvelle vigueur, pleine de curiosité. Il n'avait d'abord prêté attention qu'à son visage où ses yeux semblaient luire, l'éclat l'ayant attiré comme la flamme le fait avec le papillon insouciant.
Il fronça les sourcils : une fille, c'était une fille qui le dérangeait dans sa sieste nocturne.
Se redressant sur les coudes, il lança d'une voix traînante :

"C'est gentil de vous préoccuper de moi... Mais je ne faisais qu'une petite halte après avoir couru..."

Il remarqua alors sa tenue dont l'état contrastait avec l'impression première qu'il avait eu. A ce qu'il pouvait voir, c'était un uniforme de travail... et de travail qui n'était pas sans risque...

"Très glam', les tâches sur la jupe..." dit-il avec un petit sourire, les sourcils se mettant en accents circonflexes.

Gwen baissa furtivement les yeux sur sa jupe sale. Elle ne devait pas avoir une allure des plus fières dans cette tenue. Mais à vrai dire, elle n'y faisait plus vraiment attention. Elle ne comptait plus le nombre de chemisiers blancs qui étaient partis à la teinturerie pour cause de tache de vin rouge coriace. Heureusement qu'elle avait une carte de fidélité, maintenant...

" Le gros balourd qui me l'a fait a du trouver ça sympa puisqu'il a essayé de m'en faire une sur les fesses... " répondit elle d'un ton badin.

C'était devenu une habitude à présent...

Elle se redressa pour ne plus avoir à observer le jeune homme comme s'il s'agissait d'un animal en train de crever sur le bord d'une route. Son visage ne lui était pas familier mais il semblait avoir l'âge d'être à l'université. Peut-être un nouvel élève...

" Bon bah... si tout va bien... " reprit elle.

" Je ne vous importune pas plus... Mais vous devriez faire attention, ils ont prévu de l'orage ce soir... "

Bien que sa voix laisse entendre qu'elle allait partir, elle resta plantée à l'observer, comme si elle attendait qu'il lui donne congé.

Il avait redressé son buste pour se retrouver en position assise, de sorte qu'il levait la tête pour observer son interlocutrice. Il pencha légèrement la tête, scrutant de temps à autre, derrière la chevelure de la jeune fille, quelques étoiles de nacre.

"Voilà un travail qui a l'air attrayant, tu... vous payez vos études ainsi ?"

lui demanda-t-il, jugeant selon la justesse de son âge, elle ne paraissait pas plus vieille que lui, quoiqu'elle eut l'air d'avoir vécu. Il avait failli la tutoyer, mais puisqu'elle avait commencé par le vouvoiement, il ne voulait pas paraître mal dégrossi.

"Un orage ? Alors que pas un nuage ne..."

Mais avant qu'il ne finisse sa phrase une formidable détonation creva le ciel, créant un flash de lumière aussi bref qu'intense. Il tourna les yeux vers l'horizon : la nuit était si noire que les nuages d'ébène s'y étaient fondus à merveille. Et les quelques constellations encore visibles n'étaient là que pour semer une sensation mensongère, comme si elles avaient été de mèche avec le dieu du tonerre.

N'aimant pas tellement être contredit, même par la nature, Syd fit la moue, et reportant son regard sur Gwendolyn, il lui tendit la main :

"Tu peux m'aider à me relever ?"

s'enquit-il, oubliant pour le coup sa politesse d'apparat. En finalité, mieux vallait le naturel.

Gwen avait d'abord haussé les épaules avec l'ombre d'un sourire à la première remarque du jeune homme. Il lui avait fallu du temps pour se faire aux regards en coin et aux mains balladeuses. Mais depuis deux ans qu'elle travaillait au Dragon Flamboyant, elle avait développé une technique d'esquive faute de pouvoir engueuler la clientèle...

" Ca compense quelques frais, en effet... "

Le sourire de Gwen se fit plus franc lorsque l'orage commença à éclater. Elle eut même un léger rire amusé qui contrasta avec les roulements sourds du tonnerre. L'air semblait devenir électrique et chargé. On aurait dit que des milliers de chevaux descendaient du ciel, faisant rouleur leurs sabots autour d'eux dans un fracas intense.

Elle ne se formalisa pas du changement d'humeur du jeune homme. Son sourire se fit espiègle et elle lui tendit la main pour l'aider à se relever. Le jeune homme semblait être légèrement sucpetible et cela avait quelque chose de comique. Elle ne savait pas trop quoi d'ailleurs... La réponse résidait en réalité d'en le fait que, si elle s'était regardée dans un miroir, elle aurait eu cette même réaction vexée.

Elle sentit alors sur son bras une petite morsure fraîche. Il ne s'agissait que d'une goutte d'eau mais qui annonçait la venue de plusieurs autres, en rangs serrées, prêtes à innonder le sol, à gorger la terre d'eau et à tremper vêtements et cheveux.

" On ferait mieux d'aller se mettre à l'abri dans les gradins... " dit elle en désignant les rangées de siège abritées par un auvent.

Il prit sa main et se hissa à sa hauteur, tandis que la pluie commençait à poindre, avec la précipitation d'un poème épique... Il n'avait fallu que quelques secondes avant que les soldats d'eau ne passe à l'attaque, et chacun venait éclater contre la terre, le goudron, ainsi que sur les vêtements, la peau et les cheveux des deux jeunes gens, sans aucune pitié pour leur éphémère existence de gouttes. Voilà bien une preuve ultime de courage.

Le sourire de Gwendolyn lui en arracha un en retour, mais maintenant qu'il était raide comme un piquet, assiégé par les gouttes de pluie qui s'accroissaient, sa bouche resta légèrement entrouverte, comme dans l'expression du désaveu... Mais leurs nombres demeuraient encore suffisamment restreints pour qu'il tente une opération kamikaze :

Son gilet, il l'avait abandonné au début de la piste...

"Va-y, je t'y rejoins, je dois récupérer ma veste..." dit-il en commençant à courir vers le vêtement gisant à terre, 100 mètres plus loin...

Gwen le regarda filer de l'autre côté du terrain puis elle mit sa propre veste par dessus sa tête pour éviter d'être trop mouillée. Elle courut jusqu'aux gradins, ses pieds éclaboussant quelques petites flaques d'eau sur son passage avec des plouc-plouc peu gracieux. Elle sentait déjà l'eau couler dans son dos et les éclaboussures sur ses mollets.

* Misère, pourquoi je suis pas rentrée directement ? *

Lorsqu'elle atteint les gradins, les dégats n'avaient été limitées que de moitié. Ses cheveux étaient restés à peu près sec, ainsi que ses épaules. Ses pieds étaient trempés - désagréable sensation ! - ainsi que ses jambes et ses bras qui avaient tenu son parapluie improvisé. Elle monta quelques marches, secouant sa veste pour l'égouter un peu. Puis elle la posa sur le dos d'un siège et se tourna pour voir où était parti le jeune homme... Elle ne lui avait toujours pas demandé son nom...

Au vu de la pluie battante qui tombait, elle présumait qu'ils allaient avoir tout leur temps pour faire connaissance. Elle plissa les yeux, les faisant virer légèrement au doré, pour pouvoir percer au travers du rideau sombre de la nuit ainsi que du double rideau de pluie. Dans peu de temps, le terre deviendrait aussi glissante qu'une patinoire et les moindres trous du terrain seraient recyclés en piscine pour grenouilles.

Bientôt la rejoignit un fantôme poisseux et mouillé jusqu'à la moelle des os : Syd avait utiliser son gilet comme un parapluie, mais comme il était déjà trempe, son effet fut tout relatif. Le temps qu'il revienne, parce qu'il avait glissé à deux reprises, le jeune homme était dans un état tel qu'il semblait sortir d'une mer en furie. L'eau, ça le connaissait certes, et la pluie était moins éreintante que l'eau salée, qui provoquait brûlure et envie de se gratter à cause du sel...

Il jeta sa veste sur un siège en deçà d'eux, et de grosses gouttes dégoulinaient de ses cheveux, flirtant avec les courbes de son visage, avant d'aller imbiber ses vêtements déjà saturés d'eau. Celles qui longeaient son nez chutaient au sol avec la lenteur d'une clepsydre.

Il s'assit à côté de Gwendolyn, ou plutôt se laissa choir comme un sac à patates... se retenant de trembler. Il ôta ses chaussures et ses chaussettes qu'il repoussa un peu plus loin :

"Pardon pour le manque de forme, mais il vaut mieux que j'enlève ce qui serait susceptible de me faire attraper la mort..."

dit-il, et tout en disant ces mots, il se débarassa de sa chemise pour rester torse nu, il se mit à l'essorer, il essaierait de la rendre sèche pour la remettre rapidement... Il avait la chair de poule, le temps était déjà frais avant que le déluge ne commence...

" Mauvaise idée de courir ce soir, hein ? " dit Gwen avec un léger sourire au coin des lèvres.

Avec l'obscurité, on y voyait plus rien. La lumière de la Lune avait totalement disparu derrière les gros nuages noirs et chargés de pluie. Elle espérait que l'intempérie ne durerait pas trop longtemps. Magda allait finir par se demander où elle était passée par un temps pareil sinon. Et qui sait ce que sa cousine pourrait faire si elle savait qu'elle était restée en tête à tête avec un garçon... torse nu... et qu'elle ne connaissait pas de surcroît...

Gwen se râcla la gorge :

" Bon, je ne pense pas que le camping sauvage soit autorisé ici mais... disons que c'est un cas de force majeure... "

Elle alluma une flamme au creu de sa paume et la 'jeta' devant eux pour qu'elle reste en suspension dans les airs, à bonne distance pour les éclairer un peu et les réchauffer.

" Je crois que dans de telles circonstances, on ne peut rien faire d'autre que de se présenter... Je m'appelle Gwendolyn... "

Elle lui tendit la main pour serrer la sienne, comme avec un bon vieil ami. Le bout de ses doigts était gelé, comme toutes les extrêmités de son corps d'ailleurs : nez, orteils, oreilles, mains... A l'inverse, ses joues étaient teintées d'un rouge vif et presque brûlant, du à la succession de changement de température et du passage du froid au chaud... Elle frissonnait un peu ; sa chemise n'était pas bien épaisse pour protéger de la fraîcheur ambiante.

Au dessus d'eux, le tonnerre continuait de gronder et la pluie battait contre le auvent des gradins. Gwen trouvait tout de même une sorte de contentement à être à l'abri et à écouter la pluie qui tombait à grosses gouttes.

"Oui... Je me suis laissé piéger par le climat, il faut dire qu'il n'y a pas deux jours j'étais encore vers l'équateur... C'était autre chose... Il fait tellement chaud là-bas que lorsqu'il pleut, on ne se cache pas, on danse pour saluer ce don du ciel..."

approuva-t-il, d'une voix légèrement plaintive... Il se frictionna un bras, plus pour vérifier qu'il tenait encore que pour se réchauffer. Gwendolyn avait alors utilisé ses talents magiques pour créer du feux, et devant la flamme, Syd eut un soudain sursaut armé d'un sourire, il essora sa chemise avec une vigueur renouvellée et il l'agita devant la source de la chaleur pour la faire sécher. Mais il devrait attendre avant de terminer, il serra la main de la jeune fille :

"Et moi Syd... Syd Sheol. Enchanté ! ^^ "

Sa poigne était franche et forte, mais assez douce pour ne pas broyer la main de Gwendolyn.Mais à ce conctact, Syd sentit que les mains de la demoiselle étaient bien froid, comme les siennes, il en profita pour faire appel à son pouvoir : la paume de sa main se mit à émettre une lueur jaune, une énergie pleine de chaleur, et non offensive, il en dispensa une bonne dose dans les doigts qu'il serrait, leur rendant leur température normale.

"Je viens d'arriver, j'ai intégré la faculté d'invocation. Je découvre les lieux, le temps, bref je suis un bleu..."

dit-il, récupérant sa chemise, pour effectuer le même phénomène dessus, l'intérieur de ses mains brillaient avec un éclat doré.

"Toi, en revanche, tu es ici depuis longtemps ?"

Gwen regarda ses mains d'un air étonné, comme si elles étaient couvertes d'une substance étrange. Puis elle eut un petit sourire et elle passa ses doigts dans ses cheveux pour aider les mèches mouillées à mieux sécher.

" Ca va faire presque deux ans... Je suis en deuxième année, en fac de magie ^^ " répondit elle.

Elle laissa ses mains retomber sur ses genoux avec un petit soupir, non point de lassitude mais de soulagement. Quand elle y pensait, elle aurait très bien pu se retrouver sous l'averse et toute seule. Un éclair zébra le ciel derrière eux, illuminant leurs visages d'une lumière blafarde et furtive. Le tonnerre ne tarda pas à gronder après. L'orage n'était pas très loin de la ville.

" Tu étais en voyage avant de venir ici ? Ou tu habitais assez loin ? "

Elle mit ses mains dans ses poches à la recherche de quelque chose à grignoter. Mais elle ne trouva qu'un paquet de mouchoirs en papier, une boîte de chewing gum presque vide et un numéro de téléphone sans nom. Elle ne savait même pas de qui il s'agissait. Et quoi qu'il en soit, l'eau de pluie avait fait couler la moitié des chiffres. Elle froissa le papier et le remit dans sa poche.

" Tu en veux un ? " proposa t elle à Syd en lui tendant le paquet de chewing gum.

La chemise commençait à retrouver son aspect premier, il pourrait bientôt la remettre sans craindre un mauvais rhume. Mais il y aurait encore du travail à faire du côté de ses cheveux, encore imbibés d'eau.

"Je navigais, j'étais mousse... Au début, j'étais toujours sur le même navire..."

Il évita de donner le nom du "Sheol", autrement elle aurait compris que quelque chose clochait du côté de son nom de famille, et il aurait dû expliquer toute l'histoire de sa vie d'orphelin amnésique, et bon, il n'avait pas envie de se faire plaindre...

"Mais il a fini par couler, j'ai multiplié les boulots sur différents bateaux, mais j'ai décidé de faire des études, les promotions sont rares pour les simples matelots..."

Surtout lorsqu'il n'avait ni famille, ni ami pour les guider. Depuis que le capitaine du Sheol était mort, il avait perdu le seul appui qu'il avait dans ce milieu... Et il ne souhaitait pas compter indéfiniment sur la compassion des amis du capitaine qui l'avait hégerbé un temps.

"Avec plaisir."

dit-il en prenant un chew-gum.

"L'ambianche est comment ichi ?" demanda-t-il en commençant à machouiller.

Gwen prit également un chewing gum et le fourra dans sa bouche avant de ranger le paquet. Elle machouilla un peu la friandise, les yeux posés sur le terrain de sport. Puis elle répondit :

" Honnêtement ? Dans le genre AdventureLand, y'a pas mieux... Enfin, je suppose que c'est comme un peu partout, il y a des choses plus ou moins bien.. Mais l'ambiance en générale à l'université est plutôt bonne, elle n'est pas mauvaise du moins... "

Elle observait d'un air distrait les terrains qui commençaient à se détremper. Ceux qui voudraient faire leur footing matinal aurait une surprise... Ils devraient prévoir la tenue de plongée en plus des chaussures de course...

" Enfin, tu risques de ne pas trop t'embêter... Il se passe toujours plein de choses... On s'amuse beaucoup... "

Son ton était un mélange d'ironique sincèrité et de cynisme franc. Paradoxalement, Astaroth était l'endroit où elle avait vécu certains des meilleurs moments de sa vie, mais aussi les pires. Elle ne serait partie de la ville pour rien au monde : c'était encore là qu'elle avait le plus d'attache. Dans sa Brocéliande natale, il ne lui restait plus que trois tombes à honnorer et à visiter. C'était tout ce qu'il lui restait de son passé.

Mais à Astaroth, elle avait des amis, de la famille... et des souvenirs autres que trois stèles de marbre froid. Sans renier son passé ni avoir jamais totalement tourné la page, retourner là-bas était plus un déchirement qu'autre chose. Ici, au moins, elle avait son petit carré de bonheur à cultiver et des raisons d'être heureuse.

Elle tourna les yeux vers Syd et eut un sourire en coin, un brin mystérieux :

" Enfin, je ne préfère pas tout te dire, tu découvriras par toi-même... "

Il cligna des yeux à ses paroles : il lui avait semblé que Kaede avait tiqué lorsqu'elle avait parlé de l'université, mais il ne savait pas que c'était à cause de la chose qui dormait en elle. Et la description que Gwendolyn en faisait restait dans le vague, tout en mettant en relief le caractère aventureux et distrayant des lieux, la touche d'ironie évoquant peut-être le danger, cela ne put que le faire sourire.

"J'avais entendu des rumeurs avant d'arriver, il semblerait que cette cité soit le foyer de tous les évènements les plus étranges..."

Il fit craquer un peu ses doigts :

"Un peu comme toutes les bizarreries du monde s'y étaient concentrées : sur le vaisseau où j'ai travaillé, le capitaine prétendait que s'il y avait un endroit au monde où l'on pouvait boire un grog avec les dieux sans respecter le protocole, c'était Oblivion... Devenu Astaroth à présent..."

Il remit alors sa chemise, et apprécia le doux contact du tissu chaud sur sa peau froide, il frissonna avec un petit sourire :

"Hé bien, j'ai hâte d'en voir davantage... ^^ "

Il avait aussi une investigation à mener, pour élucider un rêve qu'il avait fait, un rêve où il avait dû pénétrer dans la psychée de quelqu'un d'autre, une personne qui vivait ici... Mais il était délicat d'aborder ce sujet maintenant...

Gwen eut un sourire ; elle ne voulait pas paraître pessimiste. Elle lui tapota l'épaule comme on tapote la tête d'un chien bien élevé. Mais son sourire était sincère et c'est avec un réel amusement qu'elle répondit :

" Tu verras bien assez tôt... "

Elle passa une main dans ses cheveux avec un soupir. Elle se serait damnée pour une douche chaude et une couette moelleuse. Mais la pluie ne semblait pas cesser, ni même diminuer en intensité. Encore heureux que les murs les protègent des courants d'air. Sa veste finissait de sècher sur un dossier de chaise, à la lueur de la flamme. Au loin, le tonnerre roulait comme un tambour sinistre.

" Alors tu as entendu parler de la ville depuis les mers lointaines ? C'est ça qui t'a donné envie de venir ? " demanda t elle.

Astaroth était un des plus gros points de chute des étudiants. Malgré la perpétuelle agitation qui y régnait, l'université avait tout de même une très bonne renommée... Il fallait bien compenser, avec les emme*deurs et le climat pourri...

"Hé bien en fait..."

commença-t-il, mais il eut un temps de réflexion : oh, et puis, autant jeté quelques pistes, le silence et la prudence étaient parents de l'ennui pour lui.

Il reprit donc la parole, les yeux se fixant sur un arbre au loin. Il essayait d'en compter les feuilles pour garder une certaine fixité, il avait envie de bouger...

"J'ai eu la sensation qu'ici j'aurais plus de chance de retrouver... des proches. J'ai un don qui me donne..."

* Accès aux rêves des autres... *

"... des intuitions, et cela fait un petit moment que j'erre sans savoir d'où je viens réellement. Mais j'ai eu une sorte de vision, il y avait cette cité, une jeune fille en pleur qui voulait en finir avec la vie, des amours déchus... Tout cela faisait comme un tourbillon qui montait vers un ciel noir, et j'ai vu disctinctement la Tour principale de la ville, trônante sur un décor macabre..."

Et ce disant, sa voix avait pris un tour de fascination, il aimait raconter, et prenait un réel plaisir à l'évocation de ce souvenir, même s'il était terrible...

"Mais c'est un peu mince comme détail, si je me mets à chercher toutes les jeunes filles qui ont eu un chagrin d'amour..."

Il tourna son visage vers elle, un grand smiiiiile sur la figure :

"Je vais me récolter tous les cas désespérés, et d'une ! Et de deux je n'aurais pas fini avant la fin de mes études ! "

Gwen eut un léger rire qui se fana doucement en un rire sans joie et un peu jaune. Bien sûr, Syd ne s'en doutait pas mais elle faisait partie de ces "cas desespérés"... Encore que de là à dire qu'elle avait voulu en finir avec la vie... Elle ne se souvenait pas avoir fait de tentative de suicide ou l'avoir souhaité, elle aurait préféré se retrouver dix pieds sous terre pour qu'on ne la voit plus, pour qu'on l'oublie...

* ... Bref... *

" Tu te rappelles à quoi elle ressemblait cette fille ? Peut-être que je la connais... "

Elle jouait avec un petit caillou qu'elle faisait rouler sous sa semelle. Son regard volait du terrain au caillou et vers Syd. Ses yeux le scrutaient sans en donner l'air. Mais ses pupilles bougaient de manière presque imperceptible, comme si elle détaillait chaque millimètre de son visage. En réalité, elle guettait plus sa réaction, cherchant à savoir à quel degré devait se situer cette fille : amie, petite amie, soeur, mère, aïeule, ou même illustre inconnue ?

" Parce que, en effet, les amours ici, ça va et ça vient... On est pas très constants dans le coin... " dit elle avec un sourire.

" Enfin, je ne dis pas que c'est une ville de débauchés non plus ; certaines personnes sauvent l'honneur par la pureté de l'amour... "

* Comme mon chaton *

(MDRRR)


Il leva la tête, observant le frêle toit des gradins sur lequel la pluie venait cogner.

"J'ai eu une image assez vague d'elle... Ses cheveux étaient d'une couleur claire, il me semble, long... Mais elle cachait ses yeux et le reste de son visage en pleurant... Et je n'ai aucune idée de qui cela pourrait être... Elle a éveillé en moi un brin de nostalgie... J'ai ressenti la même chose en retrouvant par hasard un noun... heu... une dague vachement virile !"

mentit-il sur la fin, car ce n'était pas le moment de se laisser aller à un élan lyrique en parlant de son ourson en peluche...

Il se gratta le crâne :

"On m'a souvent dit que l'amour c'est comme les bateaux, vu de très loin c'est toujours beau...."

Il ne savait pas si ce que lui disait Gwendolyn le rassurait ou pas : d'un côté, il était d'un coeur loyal prompt à un lien sacré, mais d'un autre il avait cette soif de voyager qui ne s'ouffrirait pas qu'il soit entravé par un attachement, si intense et tendre fut-il...

Gwen eut un léger sourire. Il y avait du vrai dans cette phrase : elle aurait parfois préféré regarder l'amour de loin et ne pas s'embarquer dans des aventures qui donnent mal au coeur. C'est comme prendre la mer sur un navire alors qu'on a pas le pied marin : la mer est souvent houleuse, capricieuse, elle tangue... On a le choix alors entre couler avec comme le Titanic, ou bien sauter par dessus bord en espérant retrouver la terre ferme. Pourtant, c'était une aventure que tout le monde tentait, et Gwen avait tendance à penser qu'il n'y avait que le plus brave pour être capable de braver les flots. Ce qui n'était pas son cas. Dès le moment où elle avait mis le pied sur l'eau, elle était, de toute manière, destinée à être un bien mauvais marin.

" Et alors ? Comment c'est, un bâteau de près ? " demanda t elle.

Sa question était à prendre au sens propre, bien sûr. Pas au sens figuré dans la continuation de cette belle métaphore filée. Encore que, son léger sourire en coin empreint de curiosité pouvait donner le doute : lui parlait-elle de ses conquêtes amoureuses ou de sa vie maritime ? Il y avait de quoi se poser la question, encore que Gwendolyn n'était pas trop du genre à se montrer très curieuse envers ses nouvelles connaissances dès le départ. Elle respectait le fait que chacun possède son jardin secret et puis, ils venaient à peine de faire connaissance ; difficile de demander à quelqu'un de se confier à ce stade...

Il eut un grand sourire qui lui fendit le visage, le faisant ressembler un instant à un pantin qui allait débiter les sornettes des grands destins assemblés au dessus de lui :

"It's magnifico ! Les mâts à la verticale sont aussi nobles que les voûtes d'une église, et comme elles, ils sont une promesse vers le ciel, les voiles dépliés dans le vent ont le renflement des anges, et je ne parle même pas de la coque, solide assemblage de bois avec ses motifs naturels -mais si j'en parle ! -, même celle qui sont recouverts de moules ont leur charme. Un vieux bâteau, c'est comme une maison centenaire où les naissances et les rires se sont succédés..."

Il était parti dans son délire.

"Mais c'est vrai..." poursuivit-il, sa voix devenant plus grave.

"... Que c'est aussi la mort... Ceux que l'on a perdu en mer ou qui se sont éloignés dans un port obscur et ne sont jamais revenus... "

Il étendit ses jambes pour les faire passer sur le dossier en face, afin de les dégourdir.

"Celui qui a créé cette expression a certainement été déçu par l'amour, mais il n'a cependant jamais approché un bateau... Je crois que le vrai problème ne vient pas du navire mais de l'équipage... Si l'un des deux ne sait pas naviguer ou ne rêve que d'une autre croisière, c'est le naufrage ou la mutinerie..."

* J'en dis de ces c*nneries... *

Gwen hocha doucement la tête puis détourna les yeux. L'orage semblait s'éloigner un peu mais on entendait toujours les grondements sonores qui semblaient résonner depuis les Enfers. La pluie était moins dense mais tombait toujours à grosses gouttes qui rendaient la pelouse bien grasse et boueuse.

" Oui, c'est à peu près ça... La comparaison est assez juste... " répondit elle d'un air songeur.

Elle frissonna un peu. La pluie avait rafraîchi l'atmosphère. Elle prit sa veste qui avait presque fini de sécher près du feu et l'enfila. Puis elle se frotta les mains pour activer sa circulation sanguine.

" Conclusion, on est jamais aussi bien que sur le plancher des vaches ! " reprit elle d'un ton plus enjoué.

Elle fouilla dans ses poches mais n'y trouva pas ce qu'elle cherchait : une montre. Quelle heure pouvait-il bien être ? Elle avait quitté le Dragon sous les coups de 21h. Depuis combien de temps la pluie tombait-elle ainsi ? Et depuis combien de temps papotaient-ils ? Sûrement pas plus d'une demie heure...

" Tu loges dans quelle partie de l'internat ? " demanda t elle, changeant ainsi de sujet.

"Du côté des premières années... ^^' J'ai atterri dans la chambre de Wyvern, je ne sais pas si tu vois qui il s'agit..."

répondit-il. L'orage ne tonnait déjà plus, c'était un bon signe pour la suite, ils ne seraient pas obligés de passer la nuit avec le ciel sans étoile pour couverture, quoiqu'il aurait bien eu un moyen de rentrer, mais il n'était pas pressé...

"Et on a été rejoint par Kaoru Kazuki, bien qu'il soit en troisième année... C'est le petit vieux de la fac, non ? "

Il s'étira un peu et fit craquer ses doigts, avec la nonchalance d'un félin.

"Je sens que ça va être joyeux... Et toi, tu as quelques collocs sympas ? "

" Je suis avec ma cousine dans l'aile des années supérieures... " répondit Gwen.

" On est que toutes les deux, mais on se suffit l'une l'autre ^^ "

Elle manqua dire que, de toute manière, sa cousine n'aimait pas trop être entourrée de trop de monde - notamment à cause de certains bruits nocturnes - mais elle se ravisa : elle n'allait tout de même pas faire passer Magda pour une associale de première.

Elle passa également sous silence le fait qu'elles ne passaient pas toutes leurs nuits à l'internat : Magda et elle possédaient illégalement un appartement dans une des résidences réservées aux citadins d'Astaroth. Pour l'instant, elles s'en étaient bien sorties : malgré qu'elles avaient bien failli se faire pincer, elles avaient tout de même réussi à éviter de se faire attraper.

" Kaoru comme collocataire alors ? Et Wyvern ? Je ne les connais pas beaucoup plus que ça mais j'en sais assez pour savoir que tu ne vas pas t'ennuyer ^^ "

"C'est bien d'avoir de la famille, on peut se serrer les coudes."

répondit Syd. Parfois, il se prenait à rêver qu'il retrouvait les siens : son père serait alors une brute au grand coeur, fort comme un colosse et tendre jusque dans sa fermeté, sa mère une femme vertueuse et pleine de bon sens, et des frères, des soeurs en grand nombre feraient retentir des rires et des exclamations de joie.

* ... Oh, p*tain ! J'ai besoin de piquer un somme, moi ! *

Il imagina cette Magda comme un double de Gwendolyn et sourit :

"Je commence à m'en douter... ^^ "

* Je m'inquiète aussi pour mon intégrité physique... Une allumeuse et allumé, ça fera pas bon ménage... *

"J'ai pas trop compris tout ce que Kaoru m'a déjà dit, il a l'air de se sentir seul.... Je me souviens que Wylven voulait faire une pendaison crémalière... Ce serait peut-être l'occasion de le sociabiliser. Je suis là que depuis quelques jours, et j'ai l'impression d'être plus à l'aise que lui."