Allo papa boboooooo !

Mary se mit à s'agiter de plus en plus. Et bientôt, elle finit par ouvrir ses yeux, l'air empreint d'une souffrance profonde et ancrée dans sa chair. Elle leva des yeux suppliants vers son père, et tendit les bras pour réclamer un calin.

* C'est trop nul d'avoir des dents... *

Relyss approcha doucement, son verre d'eau à la main, et les sourcils froncés.

" C'est ce genre de réflexion de ta part qui me fait douter sur la justesse de ma décision quand je t'ai demandé un enfant de toi... "

Linéar se pencha et attrapa sa fille pour la caler contre lui et la bercer :

"Et là, quand je me comporte en père honorable et terriblement tendre, tu as toujours cette impression ?"

demanda-t-il à Relyss, les sourcils relevés en accent circonflexe.

Il fit un petit bisous sur la joue de Maryweather puis il souffla dans la frange aux blondes mèches, comme pour l'occuper en évitant qu'elle ne pense à ses dents.

Relyss sourit, but une gorgée et s'approcha.

" Non, là je suis heureuse d'avoir osé te le demander... " répondit elle avec douceur.

La diversion semblait avoir marché sur Mary. Son petit visage n'était plus crispé sous la douleur, elle se laissait cajoler, sans rien dire. Mine de rien, elle était contente d'attirer l'attention, même au prix d'une telle souffrance.

" Tu commences à l'amadouer... Regarde comme elle est calme... "

"Comme tout le monde... "

Il berça la petite pour qu'elle ne reste pas sans distraction, et il réenchaîna le cours de ses paroles :

"J'ai hâte qu'elle puisse marcher, faire le ménage, la vaisselle, elle sera rentable ma petite Cosette ! "

* *

" Oui, et dans une quinzaine d'années, elle fera sa crise d'adolescence... Elle essayera de faire en sorte que tu ne croises jamais le chemin de ses copines et elle leur dira "Pfff ! Il est trop nul mon père !" "

Relyss souriait tout en l'observant toujours.

" Tu devras aussi consoler ses chagrins d'amour... "

"Je ne sais plus quel poète a dit que la morsure du serpent ne faisais pas plus mal qu'un enfant ingrat..."

soupira Linéar, toujours en berçant la petite blondinette contre lui. Mais Relyss n'avait pas tord, et il devait admettre qu'il ne se serait jamais vu dans ce rôle horrifique. Lui, père ? Il fallait bien le croire.

Malgré la noirceur de son âme et les sournoiseries dont il était capable, il se souvenait qu'à une époque éloignée, il avait fait montre d'attachement, et c'était envers Ophélie. Il n'avait pas été insensible à la notion de clan : les membres de sa famille auraient pu recevoir de lui davantage s'ils en étaient montrés dignes, mais ils étaient pourris, et Linéar n'avait pas démenti la teneur de son sang.

Tout diable possédait un oasis, un paradis où il se ressourçait, les ténèbres seules ne brillent pas, ne resplendissent pas. Relyss était la partie qui complétait Linéar, et à travers elle il apprenait la paternité et tout ce qu'elle offrait.

"Et si je la faisais enfermer dans un couvent ? Elle serait plus heureuse : l'amour n'est pas une mince affaire..."

minauda-t-il.

Relyss regardait Maryweather qui commençait à doderliner de la tête, ses yeux s'alourdissant de sommeil. Par moment, elle avait un léger sursaut et ouvrait grand ses yeux comme pour prouver qu'elle était toujours bien éveillée et que son père n'avait pas intérêt à la reposer dans son lit. Mais le bercement doux lui faisait oublier sa dent douloureuse et l'attirait dans les bras de Morphée.

La jeune fille eut un sourire attendri en voyant la petite agir ainsi. Maryweather avait déjà un caractère bien affirmé pour son âge, elle ne doutait pas que, plus tard, elle deviendra une splendide jeune fille entêtée et déterminée. Elle ne pouvait vraiment pas y voir sa propre image ; avant ses dix ans, Relyss était plutôt du genre introverti bien qu'il lui arrivait de piquer quelques crises, comme tout enfant normalement constitué. La venue de sa petite soeur avait aussi beaucoup contribué à lui instaurer un esprit de douceur et de tendresse. Elle n'avait jamais oublié cet esprit, mais elle s'était beaucoup refermée sur elle-même depuis la mort de sa famille. Et sa vie après cela n'avait pas été des plus roses non plus... Plutôt solitaire, les autres filles de l'école la regardaient de travers... Son oncle ne lui avait jamais manifesté de véritable affection, il se montrait souvent distant. Seules ses cousines ne la voyaient pas comme une pauvre et sombre orpheline.

Elle termina son verre avant de répondre à Linéar d'une voix éthérée :

" Tu la priverais de tout ce qui donne à la vie la peine d'être vécue... "

Elle sourit puis s'éloigna vers la cuisine. Elle reposa le verre dans l'évier, le rinça... Elle agissait un peu comme un fantôme. Son esprit était ailleurs, enseveli sous des tas de réflexions. Elle ressentait bien que Maryweather n'était pas sa fille. Mais elle avait envie d'en prendre soin comme si c'était le cas. Cette petite avait une innocence d'autant plus exacerbée qu'elle était un enfant non désirée au départ. Mais elle avait su se faire désirable et elle admirait cela.

Cela faisait bien deux ou trois minutes qu'elle vidait et re-remplissait son verre pour le rincer. Elle ne s'était pas encore rendue compte de son geste répété. La fatigue embrouillait ses idées.