Un petit cercle se traça tout seul sur le bureau de Dragon et une lettre dont le contenu ne serait lisible que pour Dragon se matérialisa... Le cercle disparut aussitôt, la feuille était sur le bureau...
"Cher ami,
Je prends la plume entre deux dissections pour te faire part d’un souci qui me turlupine depuis quelques semaines…
Il s’agit du comportement de l’une de mes créatures que je commence à trouver déplorable, et que tu comptes parmi tes élèves. Tu devineras bien sur que je parle de Magda Sigas.
Je ne t’en veux pas de lui avoir retirer le Médaillon d’Ouroboros que j’avais laissé dans son cœur, je savais qu’elle se tournerait vers toi plutôt que vers moi. Cette enfant possède un orgueil monstre, elle aurait préféré mourir que de s’abaisser à réclamer mon aide : Va savoir pourquoi, elle nourrit un mépris et un dégoût sans borne pour ma personne. Cela ne me chagrine point, j’ai l’habitude d’avoir affaire à des créations ingrates et mesquines, mais la route qu’elle prend me sait davantage mal…
Entendons-nous bien, je ne lui reproche pas de ressentir des émotions quoique ce fût contraire à sa nature d’Homoncule, elle peut se parer des qualités qui fondent l’humanité au sein des êtres, autant que cela lui est possible, mais ce que je refuse en revanche, c’est qu’elle en prenne les défauts.
Pire que tout, elle stagne : ses caprices d’enfant mal aimé l’enferment dans sa nostalgie, son orgueil est une barrière à son éducation, et elle commence en outre à se vautrer dans la joie concupiscente propre au commun des hommes. Elle est volatile, je le sais, presque lunatique, elle a du mal sur un plan hiérarchique à jurer fidélité à un seul seigneur… Il est des Homoncules qui se damneraient pour leur maître, j’en ai vu de ces créatures obsessionnelles qui nourrissent pour leur créateur un sentiment proche d’un amour passionnel et dévastateur. Magda est de ce type-là, c’est la folie douce qui fait battre son cœur qui l’obsède et la tourmente. Malheureusement pour elle, celle qu’elle considérait comme « son maître », sa mère, est morte, et je crois bien qu’elle ne s’en est jamais remise, et que son « amour » laissé à l’abandon recherche un mentor… J’ai appris qu’elle se recomposait une famille et avait même trouvé un compagnon, mais une relation d’égal à égal n’est pas celle dont une enfant orgueilleuse a besoin. Elle n’a satisfait que la femme qui est en elle, et non l’orpheline. Une paire de claque venant d’une Autorité supérieure lui serait davantage profitable…
Charmant tableau psychologique d’une sale gamine ? J’irais jusqu’à dire qu’elle se prend réellement pour un être humain. Cela est bien risible, ma foi, mais je ne l’ai pas ressuscitée pour qu’elle me fasse rire.
Je souhaite réveiller l’Homoncule qui sommeille en elle : Quel est son but en tant que créature née de l’Alchimie ? Le sait-elle au moins ?
Si elle doit devenir un simulacre d’humain, je crois bien que je serais capable de la détruire… Mais je vais tout d’abord lui laisser une chance, une chance pour qu’elle sorte de cette torpeur doucereuse où elle s’enferme peu à peu par amour et par passivité. Une chance pour qu’elle apprenne à rester à sa place et à ne pas transgresser toutes les règles…
Tu dois te demander pourquoi je te raconte tout cela, mon vieil ami, mais puisque tu as cette enfant sous la main, j’aimerais, si tu en trouves le temps et l’envie, que tu la rabroues gentiment… Elle ne me fera pas confiance, et je perdrai un temps précieux à lui parler et à essayer de lui faire entendre raison. J’ai ouï dire que tes dossiers étaient d’une pesanteur dantesque : voilà de quoi te distraire.
Amicalement tien.
Anatème Normon"