Run, Gwendy, run !

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L'avenue était quasiment déserte tandis que le soleil commençait à décliner dans le ciel. Il n'y avait pas un souffle de vent, tout juste le bruit des rues adjacentes qui se répercutaient jusqu'ici. La journée avait été suffocante, il faisait lourd et cela jouait sur les nerfs de tous. On se montrait suceptible, on râlait pour tout et n'importe quoi. Après un hiver frileux, on fuyait cette chaleur oppressante et on recherchait un coin d'ombre ou d'eau fraîche.

Passant comme un éclair, Gwen courrait à perdre haleine. Elle semblait fuir une menace invisible. Son visage reflétait son inquiétude. Elle s'arrêta au milieu de l'avenue et jeta des coups d'oeil frénétiques tout autour d'elle, comme si elle craignait que quelqu'un ne surgisse de quelque part. Mais la rue restait déserte. Les ombres jouaient sur les murs, nuancant deci delà les parts de lumière intense projetée par le soleil. La jeune fille scrutait les ombres comme si quelqu'un allait en sortir d'une seconde à l'autre. Mais il n'y avait vraiment rien ni personne. Pas un chat à des mètres à la ronde.

En réalité, c'était sa propre ombre qu'elle fuyait. Les ombres chatoyantes qui dansaient au fond de son être l'effrayaient bien plus que toutes les ombres inquiétantes de ce début de soirée. Elle en était presque éperdue. Mais rien ne pourrait calmer ses angoisses. Car le mal qui la poursuivait se trouvait au fond de son coeur, au fond de son être, indissociable. Elle devrait vivre avec jusqu'à la fin... Tout ce qu'elle pouvait faire lorsqu'elle était à cran, c'était de fuir... même si elle ne pouvait pas se fuir elle-même... Mais elle pouvait fuir les autres et les épargner.

Après avoir jeté un coup d'oeil par dessus son épaule, la jeune fille reprit sa course effreinée...

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Alexandra était le genre de bigote qu'on ne pouvait imaginer dehors par temps de soleil, même en mode de crépuscule, tant son teint pâle et sa mine austère allait mieux avec le paysage sombre d'une église en hiver. Mais elle avait autre chose de plus fragile, et de maladroit quand elle se promenait seule. Elle était toujours déphasée vis à vis du monde qu'elle cotôyait, même si son fiancé, Pedro, l'avait déjà bien sortie de son cocon.

Cependant son naturel revint vite au galop, quand elle aperçut Gwendolyn courir dans sa direction. Alexandra était télépathe, et elle ressentit quelque chose de particulier provenant de la jeune fille. Sans compter que c'était la cousine d'Ophélie ! Double précaution à prendre !

Elle serra son sac contre sa poitrinne en s'écartant comme si elle avait affaire à une racaille, son teint pâlit quelque peu davantage.

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Gwen fonçait toujours droit devant elle et dans sa frénésie, elle ne remarqua pas tout de suite qu'une personne s'avançait dans le sens contraire de sa course, allant ainsi à sa rencontre. Lorsqu'elle remarqua enfin Alexandra, elle commença à freiner et à ralentir sa course. Mais, manque de bol, un malheureux petit caillou se trouvait sur son chemin, à quelques centimètres des pieds d'Alexandra.

La jeune fille arrivait vers elle à une allure modérée à présent, le temps qu'elle perde de la vitesse. Mais son pied droit trouva le chemin du caillou : la malédiction des Dashwood avait encore frappé. La malchance la poursuivait, elle aussi. Le pied de Gwendolyn rippa sur la pierre, sa cheville se tordit et elle bascula en avant, s'étalant ainsi sur la pauvre Alexandra.

Tout cela, bien sûr, étant vu au ralenti. Il ne se passa qu'un très court laps de temps - quelques secondes à peine - entre le moment où Gwen avait remarqué la jeune femme et celui où elles se retrouvèrent toutes les deux par terre, les quatre fers en l'air.

Gwen secoua la tête à la manière d'un chien qui s'ébroue. Le temps de remettre de l'ordre dans ses esprits, elle se rendit soudain compte de ce qu'elle avait fait.

* Shocked

Gosh ! *

" Oooh, est-ce que ça va ? Vous n'avez rien de cassé ?! " demanda t elle précipitament.

Mais elle ne s'était toujours pas bougée. Elle était à quatre pattes au dessus de la pauvre Alex qui avait du recevoir le plus gros choc et l'observait avec des yeux effarés et interrogateurs, espérant ne pas l'avoir tuée dans sa chute.

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Décidemment, la louve était pire qu'un chat noir ! Alexandra, quoique très lente d'origine, n'avait pas eu le temps de voir venir l'accident, et Gwendolyn l'avait heurtée de plein fouet. Sa respiration en fut coupée, et même si elle ne pouvait pas parler, elle s'imagina bien avec une voix de vache asthmatique...

Elle fut sonnée pendant quelques secondes, et donc incapable de dire quoique que ce soit par la pensée. Ce ne fut que lorsqu'elle se montra capable de cligner des yeux en même temps et sans se mordre la langue, qu'elle envoya :

* Je crois... On va voir si je tombe en morceaux en me relevant... *

Et elle tenta de se relever, s'appuyant sur ses mains, mais elle avait très mal dans tous ses membres : elle n'avait rien de cassé mais le choc avait été très très rude.

* Tu... Vous fuyiez votre ombre ? On aurait cru que la peste était à vos trousses... *

continua-t-elle, et il y avait un léger ton de reproche dans sa pensée : qu'elle avait mal !

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Pendant un instant, Gwen oublia qu'Alexandra ne pouvait plus parler oralement et qu'elle parlait donc télépathiquement. Elle eut un sursaut de pétrification, comme si elle eut craint de lui avoir tellement fait mal qu'elle ne pouvait plus ouvrir la bouche.

Puis elle se remémora que c'était la façon de parler de la jeune femme et elle fut soulagée au moins sur ce point. Elle se releva à son tour. Ses mains étaient écorchées et son jean était déchiré au niveau de son genou droit. Elle essuya les petits débris de bois et de pierre qui s'étaient incrustés dans sa paume puis releva les yeux vers Alexandra. Comment pouvait-elle lui répondre sincèrement sans passer pour une folle ? Même si l'exploration et le viol psychique était plus du ressort de son frère, elle craignait qu'Alexandra ne se rende compte qu'elle ne mente. Gwendolyn était de ces gens si expressifs qu'il n'était pas très difficile de les percer à jour. Elle pouvait se rendre indifférente, se composer un masque de neutralité, il y avait très souvent quelque chose dans son regard qui finissait par la trahir. Sa spontanéité avait tendance à la faire agir sans réfléchir et elle se trahissait elle-même, sans le vouloir.

" J'ai... j'ai cru que quelqu'un me poursuivait... " répondit elle.

C'était une semie vérité, ou un demi-mensonge par omission, selon le point de vue. Gwen gardait ses yeux ambres fixés sur le visage d'Alexandra. Elle finit par hausser les épaules avec un sourire désolé.

" Mais j'ai du me laisser tromper par les ombres du soir... Il n'y a personne... "

La prestation de Gwen était assez médiocre, encore que sa voix avait l'air sincère. C'était plutôt la grosseur du mensonge qui lui paraissait inbuvable. Bien trop classique, le coup du "J'ai du me tromper". Restait à voir à présent si Alexandra était plus crédule qu'elle ne l'escomptait. Mais elle en doutait sincérement ; elle avait plus de chance de s'attirer la méfiance de la bibliothécaire.

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Alexandra passait souvent pour un fantôme blanc, du fait de la blondeur presque lunaire de ses cheveux, et de sa garde robe accée sur le pastel. Ses yeux bleus, de la même teneur que ceux de son frère, vrillèrent la jeune fille. Elle était des Normon le plus lâche et la moins venimeuse, mais il demeurait en elle une incrédulité insondable, due à des années de peur et d'oppression.

La prestation de Gwendolyn n'eut pas raison de sa méfiance. Et Alexandra s'attendit à tout moment qu'elles se fassent attaquer. Elle savait que la ville n'était pas sure ces derniers temps. Mais était-ce réellement la raison de la fuite de la jeune fille ? Un Daemon, un monstre à ses trousses ?

Bien que télépathe, Alexandra n'entrait pas souvent dans l'esprit des gens, à part pour leur parler, elle n'avait pas l'aisance et la cruauté de Linéar, les pensées d'autrui pouvaient l'ébranler avec une telle force qu'elle se briserait en morceaux.

* Quelqu'un d'intelligent ne resterait pas aussi longtemps dans l'erreur, et une telle peur chez une jeune fille si courageuse... *

commença-t-elle, montrant sa perplexité. Mais Alexandra n'avait rien d'une altruiste, sa pensée se ferma un peu. Dans le fond, elle ne voulait pas connaître les raisons de Gwendolyn. Mais l'effroi est contagieux. Elle se demandait si le danger qui poursuivait la jeune fille pouvait s'en prendre à elle.

* Mais vous vous arrêtez et vous vous permettez de faire la conversation... Tout risque est réellement écarté alors ? *

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Gwen pâlit. Elle s'était plus empêtrée dans son mensonge qu'autre chose. Elle se retourna brièvement pour sonder l'obscurité. Comment peut-on avouer à quelqu'un qu'on a peur de soi-même sans passer pour quelqu'un de complétement dérangée ? En même temps, la jeune fille frôlait la schizophrénie, même si son cas était assez particulier.

Elle se retourna de nouveau vers Alexandra et eut un léger sourire en haussant les épaules. De toute façon, elle était cuite alors autant continuer à faire comme si quelqu'un l'avait réellement poursuivie :

" Je l'espère en tout cas... Mais nous ne devrions pas rester ici, on ne sait jamais... Cette rue est un peu glauque... "

Elle s'avança un peu en sens inverse d'où elle était venue - d'où la menace était sensée arriver - puis elle se retourna vers Alexandra :

" Vous me suivez ou vous préferez tenter de continuer votre chemin par ici ? " demanda t elle avec l'air de quelqu'un qui fait miroiter les dangers de l'imprudence.

Mais n'était-il pas plus dangereux qu'elle l'accompagne ? C'était elle, la menace. Enfin, pas vraiment elle mais cette autre elle. Qui sait ce qui pouvait arriver si la barrière qui retenait la louve au fond de son esprit affaibli éclatait ? Mais, à la réflexion, elle préferait prendre ce risque que de passer pour une mythomane ou une paranoïaque...